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interview

Michel Chapoutiers'internationalise

En 1990, Michel et Marc Chapoutier prennent en main les destinées de la Maison Chapoutier. Ils sont jeunes, pleins de talent et font de cette entreprise de négoce un des tous premiers intervenants de cette région. Michel qui s'occupe, entre autres, de la communication, a la réputation d'être parfois provocateur, mais beaucoup lui reconnaissent des vraies qualités de visionnaire. Après avoir été l'un des premiers à parler de biodynamie, il demande aujourd'hui aux vignerons d'ouvrir leurs yeux sur d'autres parties du globe, et surtout aux autorités européennes de ne pas « couler » le vignoble français au moment où le monde entier découvre que le vin est... bon pour la santé.

Comment va la Maison Chapoutier, à l'aube de l'an 2000 ? On parle beaucoup de l'intérêt que vous portez aux vins étrangers, à l'Australie en particulier ?
La Maison Chapoutier va bien et son objectif principal reste la recherche sur les grands terroirs. Mais les grands terroirs sont généralement des terroirs qui coûtent très chers et qui donnent des vins qui coûtent chers. Notre expertise en matière agronomique - vous savez que nous nous sommes spécialisés dans la culture biologique et biodynamique - nous permet d'affirmer qu'il existe ailleurs des terroirs tout aussi riches et de très grand potentiel. C'est pour cela que nous sortons de la vallée du Rhône.

Nous boirons bientôt un hermitage ou un côte rôtie australiens de chez Chapoutier ?
Non, sûrement pas ! Ni hermitage, ni côte rôtie. Mais des vins du même niveau de qualité. L'erreur des viticulteurs étrangers c'est d'avoir voulu faire des copies. Copier un bordeaux, un bourgogne, cela n'a aucun sens. Ils feraient mieux d'apprendre à découvrir leur propre identité. Ils ont des atouts considérables : des climats exceptionnels, des terroirs aussi intéressants que les nôtres et des raisins de très grande qualité.

En Australie, vous travaillez avec des cépages locaux ?
J'ai retrouvé en Australie, des syrahs et des grenaches de qualité extraordinaire, importées de nos régions avant le phylloxéra. Chez nous, on reproche au grenache son léger manque de corps. Eh bien, là-bas, j'ai vu des grenaches avec des raisins très petits, et qui donnent des vins noirs magnifiques. Nous savons tous qu'en France, la greffe sur porte-greffe, s'est traduite par une érosion de qualité. En Australie, on ne connaît pas le porte-greffe !

Mais enfin, à quel amateur français allez-vous faire croire que l'on peut égaler nos grands vins ?
Il faut arrêter ce chauvinisme insupportable, cesser de clamer partout que nous faisons les plus grands vins. Il n'y a pas de plus grands vins, il y a des vins différents. C'est comme si je vous demandais quel est le plus grand peintre, le plus grand restaurateur. Il y a celui que vous préférez, mais chacun a un style différent.
Ne faisons pas comme nos grands-parents quand on leur parlait des voitures étrangères : on en rit aujourd'hui, mais souvenez-vous : ils étaient persuadés que jamais un Français n'achèterait une automobile étrangère. Mieux ! Ils allaient conquérir le marché américain avec la Dauphine !

Puisque nous parlons de chauvinisme, vous savez que les Français sont persuadés non seulement d'avoir les meilleurs vins du monde, mais aussi la meilleure cuisine du monde. L'idée de marier un vin de chez Chapoutier avec un plat japonais ou indien, cela vous paraît-il une hérésie ?
Au contraire, et je trouve cette question très intéressante. L'hérésie n'est pas toujours celle qu'on croit. Mettre le vin rouge près de la cheminée pour le chambrer, ou ouvrir une bouteille deux ou trois heures avant de la boire, voilà des hérésies, des absurdités, qui se transmettent de père en fils. Je suis agacé par ces idées toutes faites. Pourquoi par exemple, faudrait-il à tout prix faire des mariages entre vin local et mets local ?

Associer un vin et un produit d'un même terroir, par exemple cela vous paraît aberrant ?
Non, il peut même y avoir des mariages fabuleux comme celui du comté et du vin jaune. Mais de grâce, pas de systématisation. Que l'on sorte des mariages de raison et qu'on accepte enfin les mariages de passion. Nous avons fait des mariages avec des vins de la vallée du Rhône et des mets indiens qui sont extraordinaires.

Il y a un sujet qui vous tient particulièrement à cœur, c'est l'agriculture biodynamique. Tous les domaines Chapoutier aujourd'hui, sont cultivés selon cette technique. Pourquoi est-ce si important pour vous ?
Ce n'est pas important, c'est vital. Il faut protéger le futur. Les techniques de culture actuelles qui utilisent pesticides, herbicides et fongicides, détruisent la bactériologie des sols. Or, les bactéries sont là pour « bouffer » la roche, la digérer et permettre à la racine de s'y infiltrer. En détruisant les bactéries, on empêche les racines de croître en profondeur. Elles ne seront pas en contact avec la roche mère. Si les racines ne sont pas en contact avec la roche mère, on ne va pas me faire croire que le sol, le terroir, va s'exprimer par télépathie. Le grand danger qui nous guette c'est de glisser vers une culture hors sol. L'appellation risque de ne devenir qu'une marque, mais plus du tout un rapport qualitatif.
Vous dégustez les vins de Bourgogne aujourd'hui, vous allez sûrement trouver le style du vinificateur, mais pas forcément l'appellation. C'est un comble, non ?

Au début de notre entretien, vous disiez que les vignerons des Côtes du Rhône septentrionales se portaient très bien. Les prix augmentent sans cesse. Cette flambée, comment l'expliquez-vous ? N'est-elle pas dangereuse ?
On constate une baisse de la consommation moyenne de vin en France. De 100 litres, on est passé à 67 litres il y a deux ans, à 61 litres aujourd'hui. Réaction immédiate des pouvoirs français : la consommation s'effondre, il va y avoir surproduction, il faut tout bloquer. Résultat, nous n'avons plus le droit de planter. Mais parallèlement, la consommation mondiale de vin est en pleine explosion. On plante de la vigne partout, sauf en France. Les prix flambent, parce qu'il y a une carence de vin.
Je vais vous donner un exemple : la compagnie British Airways, proposait, il y a quelques années, une dizaine de vins aux voyageurs : huit étaient français. Aujourd'hui, il n'y en plus que deux. Le monde entier demande du vin, et notre production stagne. En côtes du Rhône septentrionales, nous avons des appellations qui sont parmi les plus beaux rapports qualité-prix de France. Prenons l'exemple du crozes-hermitage : il représente 5 000 ha de terroir. Aujourd'hui nous sommes bloqués à 1 100 ha, et on nous accorde chichement 15 à 20 ha supplémentaires chaque année.

L'uniformisation des goûts, ne vous fait-elle pas peur ? Ne risque t-on pas d'aller vers des vins qui n'auront d'autres buts que de plaire au plus grand nombre ?
Je crois que le travail d'un vigneron n'est pas de faire un vin qui plaise à ses clients. C'est le client qui est séduit, charmé par le style d'un vigneron. Quand vous achetez un tableau, vous n'allez pas demander à l'artiste de retoucher les couleurs, pour qu'elles s'accordent avec la nuance de vos rideaux ! Vouloir plaire au plus grand nombre, c'est une très mauvaise approche. Laissons les Américains faire cette bêtise et défendons la notion de terroir.

Mais cette bêtise, comme vous dites, certains viticulteurs ne sont ils pas en train de la commettre en France ? On plante du viognier un peu partout. Dans d'autres régions, c'est le chardonnay qui tient la vedette. Dans le Jura, par exemple, on se demande s'il ne va pas un jour remplacer le savagnin ?
Oui, vous avez raison, c'est un peu comme la mode du cabernet. Mais le retour de bâton, à mon avis, sera sévère. Et puis, pour le Jura, croyez-moi, les vignerons qui auront gardé leur savagnin, seront les « rois du pétrole » dans quelques années. Le palais du client va se fatiguer de l'uniformisation.

Investir à l'étranger, c'est pour vous une question de survie ?
En un sens oui, et pour être honnête j'y vais un peu à contre cœur. Que faire d'autre ? C'est l'État français qui nous pousse dehors. On ne peut plus acheter, on ne peut plus s'agrandir. Nous avons construit un bon réseau de distribution, un bel outil de production mais nous n'avons pas le droit de l'exploiter !

Dans 10 ans, M. Chapoutier habitera en Australie ?
Non. Mais je prie le bon Dieu pour que les administrations européennes et françaises reviennent à la raison. J'espère que l'on verra à nouveau un crozes-hermitage à 2 000 ha et un saint-joseph à 1000 ha.


Toutes les vignes des domaines Chapoutier sont cultivées en biodynamie, méthode de culture proche de l'homéopathie, obligeant le vigneron à vivre en osmose avec sa terre.


"Je crois que le travail d'un vigneron n'est pas de faire un vin qui plaise à ses clients. C'est le client qui est séduit, charmé par le style d'un vigneron."


L'HÔTELLERIE n° 2612 La Cave 6 Mai 1999

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