Le virage à grande vitesse de
la restauration ferroviaire
Le marché de la
restauration ferroviaire en France est un secteur avec
des métiers qui ont connu une profonde mutation depuis
l’apparition des trains à grande vitesse. Tour
d’horizon.
François Pont
Les métiers de la
logistique dans la restauration ferroviaire offrent peu
d’espace pour les talents des hôteliers et restaurateur. |
Dans son intégralité :
logistique, service à bord et service administratif, la
restauration ferroviaire sur les lignes françaises emploie
près de 3 200 personnes (2 500 à la CWL dont deux-tiers de
roulants et 700 chez Cremonini dont 300 personnels de bord).
Avec un turnover inférieur à 2 %, une moyenne d’âge qui
frôle la quarantaine (37 ans pour les roulants des
Wagons-Lits), le moins que l’on puisse dire, c’est que le
personnel est fidèle. «Nous aimons se métier car
travailler à bord des trains est agréable. Nous sommes
autonomes et n’avons pas de chef sur le dos. Sans être
considérables, les salaires sont un peu supérieurs à ce qui
se pratique dans la restauration à terre», explique
Ronald Dufresne-Almendro du syndicat Sud-Rail. «La
contrepartie des contraintes liées à notre activité, c’est
de pouvoir prétendre à 6 semaines de congés payés plus 16 à
18 jours de récupération par an -, précise Gildas Le
Gouvello, délégué national à la CFDT et salarié de la CWL
depuis 1973 –, les hôteliers sont présents chez les
anciens, moins dans les nouvelles embauches. Nos employeurs
veulent des commerciaux, c’est d’ailleurs notre titre
désormais, nous ne sommes plus des stewards ou hôtesses.»
Les créations de postes sont rares, une soixantaine chez
Cremonini à l’occasion de l’obtention du marché de l’iDTGV
et iDNight en 2005 et cent cinquante à la CWL avec le
lancement en 2007 du service à la place en première classe.
Lors du changement d’attribution d’un marché, le nouvel
opérateur est dans l’obligation de reprendre le personnel en
place. Cremonini vient de remporter le marché «France» mais
cela ne devrait donc pas provoquer d’embauche.
Des syndicats qui
bouillonnent et des métiers qui évoluent
«Cremonini est un
professionnel du secteur reconnu mais ne dispose pas de
l’expérience française de la CWL surtout sur la logistique,
nous le constatons sur le TGV Est (sur cet axe, la filiale
du groupe Accor assure le service à bord alors que la
logistique a été confiée à Cremonini). Je ne défends pas ma
paroisse (Ronald est employé des Wagons-Lits, Ndlr) mais en
cas de changement d’opérateur nous craignons d’avoir à en
subir les conséquences. Par exemple, que les affectations
sur les trains à créneaux porteurs donc à fort chiffre
d’affaires, ne se fassent au mérite, ce qui aura un impact
important sur nos salaires qui comprennent un pourcentage»,
s’inquiète le syndicaliste Ronald Dufresne-Almendro.
Selon des sources syndicales, un commercial junior (appelé
jadis Steward) serait rémunéré en premier échelon 1 280
euros (sur 13 mois) plus un pourcentage de 3 à 6 % sur la
recette (soit de 1 600 à 2 000 euros bruts par mois), une
variable très favorable sur un Paris-Lyon à midi, beaucoup
moins sur un Paris-Lille en milieu d’après-midi (les bars
seraient même inexistants sur ce trajet en raison de la
brièveté du temps de transport). C’est le même principe pour
les personnels de bord affectés au service à la place. «Les
plateaux-repas proposés en première classe ne sont pas
compris dans le prix du billet, la mission de nos personnels
de bord est donc de faire de l’accueil et du service mais
aussi de la vente», explique Emmanuel Richy en charge du
marketing et de la qualité produits à la CWL.
Jean-Pierre Molinari, directeur délégué de Cremonini dans
les locaux de la rue de
Maubeuge à Paris, au dessus du centre de
logistique ”Nord”. |
Des profils hôteliers
appréciés à bord de l’Eurostar, du Thalys et des trains de
nuits
Une aptitude commerciale
moins prégnante dans les postes à bord des trains de nuits
Lunéa, un marché détenu par Cremonini. «Nous avons un
employé de bord dans chaque wagon-couchettes. Il s’agit
d’une fonction d’accueil et de sécurisation. Certes, il
n’est plus question de préparer les couchettes comme à
l’époque des wagons-lits (les derniers dont le confort se
rapprochait de celui d’une cabine de bateau ont
définitivement disparu en 2007, Ndlr), mais nos salariés
doivent aussi veiller à la propreté en particulier dans les
lieux communs comme les toilettes. Enfin, nous testons à la
demande de la SNCF, le service de petits-déjeuners en
cabine. Il n’y a pas de bars à bord, juste des distributeurs
automatiques. Pour ces postes où le sens de l’accueil est
primordial, le profil hôtelier est un plus», argumente
Jean-Pierre Molinari, président délégué de Cremonini en
France.
Du côté de l’Eurostar, on déclare carrément sa flamme pour
les jeunes de formation hôtelière. «Nous sommes très proche
de l’aérien avec une «business classe» et une «première
classe». Nos employés de bord que nous appelons toujours
hôtesse et steward, ne sont pas des commerciaux car les
prestations de restauration sont comprises dans le prix du
billet. Accueil à bord, choix de plats chauds, service de
boissons en permanence, vaisselle en porcelaine, ce type
d’offre haut de gamme est familière des hôteliers. Notre
activité se porte aux mieux et a justifié 200 embauches
entre mars et juin 2008. Le programme de recrutement a été
suspendu en septembre suite à l’incendie du tunnel mais
pourrait reprendre prochainement. Pour 35 heures de travail
hebdomadaire, un steward peut compter sur une rémunération
annuel de 30 000 euros bruts (salaires et défraiement)»,
annonce sans langue de bois Pierre-Louis Phelipot, directeur
général de Momentum Services Limited, la joint-venture en
charge de la restauration à bord de l’Eurostar. Un intérêt
pour les profils hôteliers confirmé aussi du côté de
Bruxelles chez Railrest, opérateur du service à bord sur le
Thalys «même si la qualité de la prestation est un peu
moins élaborée en l’absence de «business class», de
vaisselle en porcelaine et de service de plats chauds. Avec
1 h 22 de trajet entre Paris et Bruxelles, le temps ne nous le
permet pas», précise Peter De Groote, directeur des
Ressources Humaines de Railrest.
Une moindre attractivité
dans la logistique et l’avitaillement
À l’invitation de Jean-Pierre Molinari de Cremonini, nous
avons visité le centre de production «Nord» qui assure la
logistique et l’avitaillement du Thalys et de l’Eurostar.
Ces métiers demandent rigueur, organisation et hygiène.
Pourtant pour la préparation des trolleys à boissons ou à
plateaux-repas et le traitement des retours à
reconditionner, les personnes formés dans les métiers de
l’hôtellerie et de la restauration auront peu d’espace pour
exprimer leurs talents. Aucun centre de logistique ne
produit de repas, il s’agit de gérer les flux, les produits
(plateaux-repas, viennoiseries, sandwiches…) réalisés par des
prestataires extérieurs, assurer la complexe ventilation sur
les trains et minimiser les pertes «à moins de 4 %,
au-delà, nous aurions des pénalités», explique le
responsable qualité en charge de la visite.
La CWL vient de perdre le conséquent marché de la
restauration à bord des TGV France. Elle conserve le service
dans les TGV Est
Jusqu’au 22 octobre
dernier, c’était la filiale du groupe Accor, qui détenait le
marché sur les TGV hexagonaux que ce soit pour
l’avitaillement (sauf pour le TGV Est) ou le service à bord,
deux métiers distincts qui font l’objet de lots différents
lors de l’attribution des marchés par les chemins de fer
français. Réputée déficitaire (en particulier l’activité de
logistique) mais indispensable, la restauration à bord c’est
un peu la patate chaude à la SNCF, une activité de tout
temps externalisée.
Attendu pour le mois de
novembre, le résultat de l’appel d’offres portant sur le
service à bord des TGV France (hors TGV Est) est tombé comme
un couperet la semaine dernière. Coup de tonnerre, à compter
du 1er mars 2009 et jusqu’en 2012, c’est l’italien Cremonini
qui assurera la restauration à bord des TGV hexagonaux. Le
lot concernant l’avitaillement à bord de ces mêmes TGV n’a
pas été, pour l’heure, attribué. La CWL n’est désormais
présente sur le territoire national qu’à bord des TGV Est.
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Le complexe état des lieux des intervenants actuels dans la
restauration ferroviaire
En France :
Sur le territoire national,
deux acteurs européens majeurs se partagent le marché :
- La Compagnie des
Wagons-Lits (CWL) : présente en Autriche, Italie, Espagne,
Portugal, Royaume-Uni…, la CWL vient de perdre le conséquent
marché de la restauration à bord des TGV France. Elle
conserve le service dans les TGV Est. La poursuite de ses
activités d’avitaillement des TGV hexagonaux au-delà du 1er
mars 2009 est soumise à un autre appel d’offres de la SNCF,
actuellement en cours.
- L’Italien Cremonini :
arrivé en 1998 à la faveur d’opérations de logistique sur le
Paris-Milan, le deuxième opérateur européen de la
restauration à bord des trains a depuis tissé sa toile au
point de contrecarrer le quasi-monopole que détenait la CWL
au départ de la Servair en 1998. La société modénaise assure
le service à bord des Téoz, de l’iDTG et iDNIGHT depuis 2005
mais aussi des trains de nuit Lunéa. Cremonini est
partenaire de son concurrent la CWL sur le TGV Est dont elle
assure l’avitaillement : «Ce qui n’est pas sans poser de
problème», assure Bruno Faizende de la CWL. Cremonini vient
de remporter l’appel d’offres portant sur le marché majeur de
la restauration à bord des TGV France pour une mise en
activité au 1er mars 2009.
Sur (certaines) lignes
internationales :
Sans trop entrer dans le
détail, la CWL est présente sur les lignes Lyria (à
destination de Zurich et Genève) et Alleo (vers
l’Allemagne).
- Rail Gourmet : adossé au
groupe SSP (Select Service Partner), l’ex-filiale du
britannique Compass est désormais contrôlée par le fonds
d’investissement EQT. Un temps présent à bord du corail sur
la ligne Est en France avant l’arrivée des TGV, Rail Gourmet
opère désormais le service à bord de l’Eurostar et du Thalys
au travers de deux joint-ventures détenues à 49 % par le
britannique et 51 % par Cremonini : Momentum et Railrest.
Momentum Services Limited
est présent à bord des Eurostar. Selon son directeur
général, Pierre-Louis Phelipot, Momentum emploie 850
salariés (80 % de Français parfaitement bilingues) en charge
du service à bord des 27 Eurostar qui assurent 76 trajets
quotidiens entre Paris gare du Nord et Londres St Pancras.
Railrest assure le service à bord des Thalys. Peter De
Groote, le DRH annonce le chiffre de 300 stewards et
hôtesses (dont une centaine de Français d’une moyenne d’âge
de 33 ans) affectés au service à bord de la trentaine de
liaisons quotidiennes entre la France, la Belgique et les
Pays-Bas.
Un mot sur la Deutsch Bahn
La disparition des wagons-restaurant au pays de la
gastronomie se justifie selon la SNCF par l’arrivée, entre
autres, des trains à grande vitesse. Notons que la Deutsch Bahn (DB) offre toujours ce type de service et en
particulier sur ses trains à grande vitesse : les ICE. La
DB, dont la clientèle est certes différente, organise même
des trophées culinaires à bord de ses trains (le chef Éric Fréchon du Bristol y participait en août dernier). Et le
syndicaliste Gildas Le Gouvello d’ajouter : «En plus les
personnels de bord dans les wagons restaurant de la DB ont
le statut de cheminot ce que nous n’avons jamais réussi à
obtenir en France.»
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