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À New York, les pourboires sont un enjeu de management

Aux États-Unis, le client paye le service, en fonction de son degré de satisfaction. Cela change la donne au niveau du management. Travailler plus (et mieux) pour gagner plus : le principe semble fonctionner…


Estelle Lamotte aux côtés de Jean-Georges Vongerichten.

Imaginez un pays où l’on décide du montant de l’addition en fonction de son degré de satisfaction...Voilà le génie de l’Amérique. Dans les faits, seul le prix du service est laissé aux bons soins du client. Même si tacitement, les pourboires (tips) s’élèvent en moyenne entre 15 et 20 % de la note (environ deux fois la taxe, ce qui représente 16,5 %), il n’y a pas de règle en la matière. Les fameux «tips» peuvent être parfois beaucoup plus importants. En termes de management, cela change la donne. «Il est plus facile de gérer des équipes qui sont rémunérées aux pourboires. Il y a un facteur de motivation supplémentaire», dit Estelle Lamotte, assistante directrice de restauration au restaurant 3 étoiles Jean Georges, qui gère une équipe de 80 personnes. Et le personnel peut gagner des sommes douillettes : «En salle, les serveurs peuvent gagner jusqu’à $2 000/ 1350 E par semaine. Il arrive qu’ils gagnent plus que le manager…», dit-elle.

C’est un autre rapport à l’argent auquel il faut se familiariser lorsqu’on est Français. Ce système existe aussi en Angleterre, les pourboires étant cependant moins élevés : environ 10%. « Mon expérience à Londres m’a permis d’assimiler ce système », explique Estelle Lamotte à New York depuis quatre ans. « Les Etats-Unis sont plus ouverts pour les femmes : en France, il y a encore très peu de femmes en salle », dit-elle. Quoiqu’il en soit, le système des pourboires ne fonctionne que dans la mesure où les clients jouent le jeu. Personne ne déroge à la règle, en tous cas pas les Américains. Les Français ont la réputation de ne pas être aussi généreux. Pour l’anecdote, le « French tip » signifie un pourboire particulièrement ridicule… Il arrive que le service soit ajouté d’office au total. Cela arrive surtout avec les grandes tablées (de 8 personnes ou plus) ou les tables de Français (ce qui est assez rare tout de même)…

Dans l'état de New York, un salarié doit percevoir aujourd'hui un salaire minimum de $7,15/ 4,8 E de l'heure. Si le salaire de base varie, les pourboires représentent souvent la majeure partie des revenus du personnel. Le salarié doit ensuite payer des impôts qui représentent environ 35 % du revenu total (dépendant de sa situation familiale) en incluant les pourboires. Lorsque le restaurant n’est pas rempli pour différentes raisons, par exemple durant les mois «creux» où il y a moins de touristes ou lorsque la bourse fait grise mine, les serveurs sont les premiers affectés, le coût de la vie étant très élevé à New York.

Un système qui dissocie le service de la cuisine peut sembler injuste : la satisfaction du client dépend d’une impression générale, de «l’expérience» du restaurant. Un serveur a beau se plier en quatre, si la cuisine n’est pas à la hauteur, le client ne sera pas entièrement satisfait et donnera logiquement moins de pourboires.


Laurent Tourondel.

Dans les faits, le secteur de la restauration à New York est tellement concurrentiel qu’un restaurant qui n’attire pas assez de clients ne parviendra pas non plus à garder ses employés. Nombreux sont les restaurants qui n’arrivent pas à garder leur personnel. «Il y a une crise de l’hospitalité aux États-Unis», dit Laurent Tourondel, chef des restaurants BLT. Si le pays a de prestigieuses écoles de cuisine et de management comme l’université Johnson & Wales ou le Culinary Institute of America, il y a très peu d’école hôtelières comme en Europe. Cela crée un manque de professionnels, aussi bien en nombre qu’en termes de formation. «L’art de la table n’est pas aussi développé aux Etats-Unis qu’en France», dit Pierre Siue, directeur des opérations au restaurant Daniel.


Pierre Siue.

Dans les restaurants ou bars branchés, les serveurs peuvent être des acteurs, étudiants ou mannequins. Cela ne va pas sans conséquences. «Même si personne ne le dit ouvertement un homme gagnera toujours moins de pourboires qu’une femme, d’autant plus si elle est «hot» (sexy)», explique le barman de Saurin Parke Café, un café dans le Nord de Manhattan. Dans les restaurants, les pourboires ne sont pas toujours aussi mirobolants que dans certaines discothèques mais les grandes maisons représentent une valeur plus sûre pour les employés, les discothèques ayant un cycle de vie très court à New York… Il est à la guise de chaque restaurant de décider si les pourboires sont mis en commun ou bien si les serveurs perçoivent les pourboires des tables dont ils ont pris soin. Au restaurant Daniel, qui compte 60 personnes en salle, les pourboires du jour sont mis en commun au sein d’une même «pool» (une équipe constituée d’un maître de rang, chefs de rang, demi-chefs de rang et commis), puis redistribués avec un système de points. La formation des «pools» relève quasiment de la psychologie et chaque détail compte. «Nous sommes attentifs à avoir une certaine harmonie au sein des équipes en salles, avec un équilibre entre les visages féminins et masculins», explique Pierre Siue.

Le système des tips est-il éminemment équitable ou totalement injuste ? Si le restaurant marche bien, c’est un système gagnant-gagnant, favorisant le travail d’équipe et la cohésion entre la cuisine et la salle. Cela permet aussi d’offrir un service d’une grande qualité. Dans un secteur aussi concurrentiel que la restauration, cela fait la différence.
Laure Guilbault zzz99